Séminaire

Rendez-vous mardi 12 novembre 2024 à l’Amphithéâtre de Paléontologie, Galerie de Paleontologie, 2 rue Buffon

Ces derniers temps, nous sommes confrontés à un besoin urgent d’étudier les ethnographies multi-espèces et de délimiter le potentiel de ces approches relativement inexplorées pour comprendre la vie sensible des autres qu’humains dans des écosystèmes de plus en plus dominés par l’homme. Cela est particulièrement vrai pour un pays comme l’Inde, où la proximité physique et émotionnelle des espèces humaines et autres qu’humaines depuis des temps immémoriaux a conduit à des échanges comportementaux interspécifiques historiquement intenses, à la création de relations uniques au-delà de l’humain et à l’apparition de mondes de vie immersifs et plus qu’humains. Les rencontres affectives entre humains et autres qu’humains, caractérisées par des échanges spécifiques de signaux et de matériaux entre espèces, ont ensuite conduit à la cocréation de nouvelles formes de subjectivité dans ces zones de contact naturelles et culturelles particulières et à la réimagination ultérieure de nos sociétés comme n’étant pas des espaces exclusivement humains, mais des hybrides uniques nature-société. 

Comment les autres êtres sensibles négocient-ils et apprennent-ils à habiter des environnements naturels et culturels dynamiques, non seulement dans leurs propres sociétés complexes, mais aussi dans leurs mondes de vie co-créés, plus qu’humains ? Dans sa contribution, Anindya « Rana » Sinha utilise des ethnographies autres qu’humaines pour explorer les sociocultures des macaques agentiques - l’un des primates non humains les plus adaptables et les plus performants sur le plan de l’évolution. À l’aide de techniques quantitatives d’observation et d’analyse, combinées à des concepts théoriques, il examine les processus cognitifs qui sous-tendent leurs stratégies comportementales et leurs prises de décision, dans le contexte de transformation que subissent les êtres vivants en Inde aujourd’hui. Il étudie en particulier les expériences vécues par les macaques individuels, s’interrogeant sur la manière dont leur corps et leur écologie établissent des relations avec les environnements infrastructurels humains et sur la manière dont ils cohabitent avec les gens, perturbant souvent les rythmes de leur quotidien. De plus en plus marginalisés en tant qu’envahisseurs polluants et perturbateurs des villes, ils sont devenus les victimes de la biopolitique humaine des exclusions socio-spatiales urbaines. Les macaques, cependant, résistent au cloisonnement et à la réglementation de leurs espaces; ils apprennent à négocier avec les humains par le biais de systèmes de communication complexes et multimodaux. Ils développent aussi même parfois avec eux des relations affectives profondes, les comprenant patiemment en fonction de leurs propres connaissances, capacités et rythmes.

Dans son exposé, Yashendu Chinmayee Joshi examinera les relations socioculturelles exceptionnellement affiliatives entre les humains et les crocodiles, qui persistent dans plusieurs régions de l’Inde, mais qui peuvent sembler paradoxales en raison du caractère dangereux généralement attribué à ces reptiles. Ces communautés humaines entretiennent une profonde vénération pour le crocodile en tant que représentant de leur environnement tangible, mais aussi en tant que force morale, spirituelle et religieuse intangible dans leur vie commune. Ainsi, en partageant des espaces et des ressources avec les crocodiles, ces communautés affirment une relation unique avec leur environnement, où le respect des crocodiles reflète une vision du monde plus large qui donne la priorité à la coexistence et à la survie mutuelle. Les crocodiles ne sont donc pas seulement considérés comme des espèces terrestres semblables, mais assument également une identité culturelle et philosophique qui comble les fossés entre les humains et les autres existants grâce à une signification partagée (Descola 2013). Ces relations sont transmises de manière unique à travers les générations, les crocodiles étant associés à des valeurs culturelles intrinsèques, telles que la spiritualité, la santé, la fertilité et la protection territoriale. Enfin, Yashendu estime que des liens aussi étroits avec les crocodiles peuvent émerger grâce à des interactions régulières et cohabitantes, dans lesquelles les expériences vécues et les éthologies vernaculaires génèrent un sentiment d’empathie plutôt que de peur. En effet, les communautés vivant aux côtés des crocodiles développent une compréhension empathique des comportements des animaux, respectant leurs besoins et leurs espaces, favorisant ainsi un sentiment d’appartenance à l’espèce.

Ces exposés nous permettront de mettre en lumière ce que la vie dans des environnements socio-écologiques radicalement modifiés d’aujourd’hui peut signifier pour les autres que les humains. Nous essayons également de comprendre quels sont les effets de nos vies et de nos actions souvent insensibles sur le libre arbitre et le bien-être de ces espèces. Enfin, nous réfléchissons à la manière dont une compréhension plus profonde de nos mondes de vie, partagée avec d’autres êtres sensibles, peut contribuer à une refonte efficace de nos propres perspectives, préjugés et pratiques, en particulier dans les écologies synanthropiques du Sud global de demain.

 

Veuillez noter que les deux conférences se dérouleront en anglais.

 

Avec les interventions de 

Anindya « Rana » Sinha est principalement associé au programme sur le comportement animal et la cognition du National Institute of Advanced Studies et au groupe d’études sur la coexistence de l’université transdisciplinaire des sciences de la santé et de la technologie, tous deux situés à Bangalore, en Inde. Bien que ses premières recherches aient porté sur la biochimie moléculaire de la levure, la biologie sociale des guêpes, la génétique des populations d’éléphants et la génétique classique des maladies humaines, il s’est principalement intéressé, au cours des trois dernières décennies, à l’écologie comportementale, à l’éthologie cognitive, à la génétique des populations et du comportement, à la biologie évolutive, aux écologies urbaines et aux études sur la conservation des primates et d’autres espèces autres qu’humaines. Ses recherches actuelles sur les philosophies naturelles, les études de performance et l’art matériel et immatériel et le patrimoine culturel de l’Inde impliquent principalement des explorations étho-ethnographiques de la synurbation non humaine, de la coexistence entre humains et non humains et des expériences vécues par les nonhumains, promettant des aperçus uniques sur des mondes de vie plus qu’humains - du passé, d’aujourd’hui et de demain.

 

Yashendu Chinmayee Joshi est titulaire d’une maîtrise en biologie de la faune et de la flore sauvages et en conservation. Il est doctorant au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, en France, et au Centre for Wildlife Studies and Trans-Disciplinary University of Health Sciences and Technology à Bangalore, en Inde. Il s’intéresse principalement à la compréhension des relations entre l’humain et le crocodile dans différents contextes socioculturels et écologiques, et propose d’explorer les interactions et les relations complexes entre les communautés humaines et crocodiliennes, d’un point de vue historique et géographique, dans l’ouest de l’Inde. En utilisant des méthodes interdisciplinaires, il espère comprendre comment les individus et les populations de crocodiliens ont façonné les cultures humaines et continuent d’être appréciés et vénérés de manière unique dans différentes parties d’un monde qui change progressivement. En outre, il étudie la participation des crocodiles eux-mêmes à la transmission culturelle, à la fois historique et contemporaine, des mondes de vie traditionnels entre l’humain et le crocodile, établis depuis des temps immémoriaux.

 

Discutantes : 

Florence Brunois (LAS/CNRS)

Sabrina Krief (ECO-ANTHROPOLOGIE/CNRS)

Publié le : 04/11/2024 10:14 - Mis à jour le : 04/11/2024 10:42

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