un artiste et un chercheur regardent au fond d'une coupe préhistorique

Sur les berges du Nil, dans l’actuelle région de Louxor, il y a six mille ans (vers 3 800 av. J.-C), des hommes naissaient, vivaient et mouraient au rythme des crues du fleuve. Ils étaient agriculteurs et éleveurs de troupeaux, habitaient dans des villages en terre juchés sur des buttes, au-dessus du niveau de la crue. Ils observaient, tentaient de comprendre et d’expliquer le monde autour d’eux. Ils le voyaient centré autour d’un point d’eau, Nil ou oasis. La vie ne s’épanouit pas dans le désert. Autour de l’eau : la terre labourable, noire, les plantes et les animaux ; au-delà : les montagnes qui bordent la vallée de part et d’autre, ferment l’horizon, et plus loin encore l’immensité aride. La coupole du ciel se déployait et les recouvrait tous. Cet univers était stable, calme et harmonieux.



 

regards_croises_vue_du_monde.jpg

Univers nagadien

Crédits
© Michel Delmotte

C’est cette vision qui a été retranscrite sur des petites coupes, qui tiennent dans la main, comme un univers en miniature, peinte à l’aide de triangles, de cercles et de traits verticaux. On devait expliquer et transmettre cette image du monde par la parole accompagnant la présentation de l’objet. Lorsque, le temps passé, la parole s’est éteinte, il n’est plus resté que les coupes et les bols, parfois déposés dans des tombes, auprès du visage du mort, ornés de ces motifs géométriques et répétitifs en peinture blanche. Ils étaient devenus muets dans un monde changé, qu’on concevait désormais autrement.

Retrouver le sens de ces pensées perdues demande à l’archéologue le recours à tout un éventail de méthodes, pour quantifier, décrire, cerner et analyser. Comprendre vient après, lorsque les éléments s’assemblent comme ceux d’un puzzle et permettent enfin de reconstituer une vue d’ensemble. Parmi les obstacles à la compréhension de ce que pouvait figurer ces coupes, joue probablement le fait qu’il y a six mille ans, avant l’invention de l’écriture, la pensée conceptuelle se développait en trois dimensions, intégrant les volumes et les formes. La pratique de l’écriture a formaté notre cerveau en l’habituant à raisonner sur les surfaces biplanes. Longueur et largeur : nos pensées ont perdu de leur relief. Les coupes utilisent la concavité et la convexité des parois et des fonds, la profondeur et la circularité de la céramique pour transcrire une cosmographie. Les formes sont parfois suggérées ou induites par la matérialité de l’objet.

Ce mode de pensée qui utilise et intègre les formes est encore celui de l’artiste aujourd’hui. En particulier celui qui sait monter une poterie. D’où cette idée de tenter pour Michel de donner corps à cette reconstitution d’un fragment d’un univers perdu, en mêlant à l’approche analytico-déductive du sens du décor, fruit du travail de l’archéologue, son empathie du geste du potier et son intuition de l’intelligence des formes.

Parce que l’artiste est avant toute chose un démiurge.

 

Michel Delmotte

Michel Delmotte a consacré une grande partie de son parcours professionnel à enseigner au sein de l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg. Son travail, vécu en parallèle de son engagement d’enseignant, s’articule autour de trois médias de création : la pratique de la terre, du dessin et de la peinture. Son œuvre s’inscrit pleinement dans le champ de l’art contemporain tout en étant loin des modes et des hermétismes gratuits.

inquietude_sisyphe_michel_delmotte.jpg

inquietude_sisyphe

Crédits
© Michel Delmotte



Michel Delmotte pratique la terre en partant de volumes tournés qu’il remodèle et construit autour de personnages archétypaux. Ils évoluent dans des univers figuratifs, atypiques et très personnels. Les dessins naissent souvent de l’observation des œuvres modelées. Ils apparaissent en écho aux sculptures. Chacune d’entre elles décline un intitulé comme pour souligner par le verbe son goût pour l’anecdote, teintée parfois d’un humour acide.

Le processus de création raconté par Michel Delmotte :

D’abord il y a le choix du papier et de son format. Le sujet me fait hésiter, puis me pousse à prendre une décision,  l'idée tantôt floue, tantôt nette, quel mot, quelle phrase, quel dicton, quel poème vont me porter ?...  Le choix de la gamme de couleurs avec laquelle j’ai envie de lutter ; sachant que cela va être un combat. Il faut choisir ! L’arme d’abord, c’est à dire les pinceaux qui servent de rames, puis la dilution des pigments avec de l’eau dans laquelle il ne faut pas se noyer dans de vieilles assiettes de porcelaine fendues,  les premiers coup de rames des pinceaux pour trouver un rythme dans la composition de la feuille (papier blanc qui interroge !).Il y a l’impulsivité qui pour moi est le moteur essentiel, et qui déconstruit, tout ce que j’avais la prétention de construire, quand tout cela et bien d’autres choses (que l’on nomme le hasard) apparaissent sur cette feuille blanche qui ne l’est plus du tout, arrive l’instant du doute : plus de ceci,  ou moins de celà ...correspondrait mieux à mon idée de départ. Après un choix déterminant, alors intervient cet instant magique … La peinture à l’eau, (qui est bien plus facile que la peinture à l’huile, tout dépend par qui elle est pratiquée ) tant qu’elle est fluide et mobile, me  permet jouer  avec ses fluctuations ; en bougeant ma feuille,  je devine les possibles de toutes mes attentes avec leurs fragilités, puis je contemple mes espoirs, mes rêves, et par la magie de l’eau, tout comme je comptais sur la magie du feu dans mes rêves céramiques et qui là s’accomplissent avec quelques pigments, deux ou trois pinceaux et de l’eau, simplement de l’eau .. . Y-a-t’il plus simple pour exprimer des pensées complexes ?

http://michel.art.delmotte.free.fr/

 

Publié le : 02/12/2020 11:49 - Mis à jour le : 02/12/2020 11:50