Les résumés de HDR des membres de PALOC

Hélène Artaud - Généalogie de l'écume. Penser l'océan avant l'anthropocène

Dans le mémoire de synthèse biographique intitulé "rencontres humaines et non-humaines", Hélène Artaud déroule segments après segments une phrase de C. Lévi-Strauss, dont elle a observé la récurrence dans l'ensemble de ses travaux. Ce fil rouge lui permet de réfléchir et développer l'idée d'un "schématisme sensible", soit d'un monde, sélectif en même temps que partagé, sensoriel et affectif, invisible et ineffable, qui serait celui de tous les vivants. Elle relève dans la sensibilité, les limites et les possibilités de leur dévoilement en proposant notamment de recourir à un dispositif : le leurre, susceptible de "piéger la rencontre" entre humains et non-humains.

Le questionnement qui guide l'ouvrage original intitulé "Généalogie de l'écume : rencontre des mondes atlantique et pacifique" est inspiré des recherches qu'a menées l'auteure en Mauritanie, auprès des pêcheurs Imragәn. Elle y poursuit l’examen des prémisses, situées et historiquement contingentes, qui ont sourdement orienté l’observation des explorateurs, missionnaires et anthropologues partis à la rencontre de mers Autres. C'est l'histoire de cette perspective océanique singulière et de ses transformations contemporaines qui est explorée dans cet ouvrage à paraître le 16 février aux éditions de La Découverte.

Mots-clés : Mer, anthropologie, sens, affects, histoire environnementale, post-colonialisme, relations interspécifiques

 

• Daniela Berti - Animal Sacrifice under Judicial Scrutiny. Moral Reforms and Religious Freedom in India

Les sacrifices d’animaux sont pratiqués en Inde depuis une période ancienne. Dans la région himalayenne que j’ai étudiée ils peuvent être effectués dans des circonstances variées, par exemple dans le cadre d’un exorcisme, ou comme vœu à une divinité pour obtenir quelque chose, ou aussi lors de fêtes autrefois patronnées par les rois hindous et qui continuent à être célébrées aujourd’hui dans la capitale du district afin, disent les dévots, de garantir la prospérité du royaume. 

Ces sacrifices sont cependant de plus en plus critiqués par les défenseurs des animaux et les tenants d’un Hindouisme réformé, davantage centré sur des valeurs de non-violence d’inspiration brahmanique. Certains litiges vont en justice. Je me suis penché sur une affaire judiciaire de 2014 où la High Court de l’Himachal Pradesh a décrété l’abolition des sacrifices d’animaux, ce qui a suscité une vive opposition parmi les tenants des « traditions », au premier rang desquels le « raja » (et politicien) local. L’affaire est remontée en appel à la Cour Suprême de l’Inde, où elle reste en suspens. 

Ce cas est intéressant d’un point de vue comparatif, car le juge indien s’est ainsi posé en autorité légitime pour réformer une tradition religieuse au nom du progrès, tandis qu’aux Etats-Unis des sacrifices d’animaux pratiqués par les adeptes de la Santeria sont restés autorisés par la Cour Suprême au nom de la liberté religieuse – un principe important dans la Constitution indienne aussi. Mais en Inde, les juges constitutionnels se considèrent investis de la mission à réformer les « mauvaises coutumes » (dont ferait partie, pour certains, le sacrifice), qu’ils distinguent de la « religion » telle que, par là même, ils la délimitent.

 

• Marie-Christine Cormier-Salem - Rives et dérives : en quête des mangroves

La mangrove, socio-écosystème complexe et mouvant, est difficile à appréhender et reste, à bien des égards, encore inconnue en dépit des progrès des connaissances et de l’utilisation de nouveaux outils scientifiques (telle la télédétection). Après avoir dressé un rapide état de l’art sur la mangrove et souligné l’apport plus spécifique des géographes, nous montrerons en quoi la mangrove est un bel objet d’étude pour qui s’intéresse à l'analyse sur la longue durée des relations entre les sociétés et leur environnement. Notre itinéraire de recherche, marqué par une formation universitaire double d’historienne et de géographe et des expériences de terrain variées - de la Casamance aux Rivières du Sud (région comprise entre le Saloum au Sénégal à la Sierra-Leone), puis aux rivages de l’Atlantique - a infléchi notre approche des espaces littoraux. Après avoir exposé les grandes lignes de nos orientations théoriques et méthodologiques, de la géographie tropicale à la political ecology, cet essai s’attache à décliner les divers sens de la mouvance spatiale et temporelle des mangroves, à mettre en évidence les facteurs et acteurs de cette dynamique, à analyser la diversité des constructions spatiales littorales et enfin, à comprendre les enjeux territoriaux et patrimoniaux suscités par la maîtrise de cet espace particulier.

Au-delà de sa particularité, la mangrove invite à une réflexion plus large sur les conflits d’usage et d’accès à la biodiversité et les contradictions entre dynamiques locales et enjeux internationaux.

Mots clefs : gouvernance, usage, perception, globalisation, écologie politique, histoire environnementale, commun, territoire, patrimoine, injustice

 

• Gwenola Graff - "Je suis celui qui fait que parlent les traits". Pratiques iconiques et continuités graphiques entre vallée du Nil pré-pharaonique et abords du Sahara

« L’art avant les pharaons : essai sur l’iconographie préhistorique égyptienne »

Ce petit volume est la seule synthèse actuelle sur les productions artistiques antérieures aux pharaons. La précédente, en langue française, datait de 1904. La période couverte est longue : des découvertes très récentes dans la région d’Assouan ont fait reculer jusqu’au Paléolithique récent (env. -18 000 av. J.-C.) les premières productions d’images en Egypte. D’une manière arbitraire, nous nous arrêterons au pied de la pyramide à degrès de Djoser, au règne de son père Khasekhemoui, à la fin de la IIème dynastie (avant 2686 av. J.-C.). Ensuite, on entre dans l’ère pharaonique. Durant cette très longue période, la culture qui a produit le plus d’images est celle de Nagada. Elle couvre tout le IVème millénaire et s’étend progressivement de la région de Louxor en Haute-Egypte à tout le pays et même au-delà à la Basse Nubie et jusqu’à la bande de Gaza. Les supports sont variés : gravures rupestres, peinture, incisions, bas et haut relief et ronde-bosse. Les matériaux le sont aussi, qu’il s’agisse de l’omniprésent limon du Nil ou du très lointain lapis-lazuli. De ce fait, l’usage et le lieu de dépôt final de ces objets nous donnerons de précieuses indications sur la société qui les a produits et utilisés, en particulier sur ses structures sociales, au moins autant que sur ses croyances et ses aspirations.

Cet ouvrage se veut aussi une présentation des hypothèses les plus récentes concernant l’interprétation et la lecture de cette iconographie. Pourquoi avoir produit des images ? Il semble que la réponse ne soit pas univoque, mais que plusieurs fils conducteurs traversent le temps et se retrouvent de support en support. Nous avons retenu cinq thématiques qui se croisent et s’entremêlent, livrant au final une vision de cette période traversée par des tensions et des aspirations, non sans évoquer des problématiques chères à la période pharaonique, mais qui les exprime d’une voix propre et unique dans la longue histoire égyptienne.

Mots clefs : archéologie préhistorique, sémiologie image, art rupestre saharien, continuité patrimoniale

 

• Geoffroy de Saulieu - Vol. 1. Dérive équatoriale. Vol. 2. Les Équatoriales. L’archéologie des civilisations d’Afrique centrale & d’Amérique du Sud au crible de l’anthropologie sociale.

Quand on évoque les grandes différences entre les sociétés issues du Néolithique euro-méditerranéen, et les sociétés intertropicales d’Afrique et d’Amérique, on ne manque pas de souligner qu’il n’y a pas, ou très peu, d’élevage en forêt tropicale. En réalité, la différence est plus profonde : pour faire vite, en régions intertropicales il n’y a pas de séparation réelle entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs. La différence est, en réalité, graduelle. Si les formes d’interactions avec le paysage et les ontologies ont joué un rôle important dans la construction des paysages, l’organisation sociale a été déterminante.

« Les Equatoriales. L’archéologie de l’Amérique intertropicale et de l’Afrique Centrale au crible de l’anthropologie sociale » défend l’hypothèse selon laquelle cette domestication des paysages ne peut se comprendre qu’en lien avec l’évolution durant l’Holocène des prestations matrimoniales sur les deux continents réglementant le travail des femmes.

Mots clefs : archéologie, préhistoire, Holocène, paléoenvironnement, anthropologie sociale

 

• Charles-Édouard de Suremain - L'implication constructive. Anthropologie, recherche, développement

À quelles conditions, pour qui et pour quels résultats l’anthropologue conduit-il sa recherche dans le développement ? Parvient-il à concilier le temps long du terrain ethnographique – nécessaire à l’induction des normes et des représentations, aux pratiques et à l’organisation des groupes – et les priorités d’intervention ? Comment s’opère le passage de la connaissance à l’action sur l’alimentation, la socialisation et les soins de l’enfant, les images du corps, les relations de sexe, la patrimonialisation ou encore la pauvreté ?

Partant de l’analyse de plusieurs terrains (Bolivie, Congo, Équateur, Guatemala, Pérou), le mémoire interroge l’approche anthropologique lorsqu’elle est mobilisée dans divers situations ethnographiques, logiques institutionnelles, conditions de financement, partenariats ou configurations disciplinaires. Un double regard est ainsi posé sur la discipline, la recherche et le développement : celui de l’anthropologue et celui des différents acteurs concernés – « populations locales », « partenaires », « institutions » ou « bailleurs ».

Plusieurs questions épistémologiques sont alors débattues, telles que l’interdisciplinarité, la participation, le partenariat, l’éthique, le « qualitatif », la complémentarité entre « mode » et « source » de connaissance ou encore le terrain de référence… Au fil du propos, la notion d’« implication constructive » est élaborée : elle renvoie à une posture intellectuelle critique de l’anthropologue consistant à défendre des convictions et des orientations théoriques, méthodologiques et éthiques au sein de projets d’aide au développement.

Mots clefs : alimentation, enfance et enfants, genre, soins, rituels, politiques publiques, inégalités, patrimonialisation

 

Romain Simenel - Vers une anthropologie de la transmission par-delà nature et culture : Altérité, apprentissage et communication des formes

Ce projet d’HDR part du constat d’une déconnexion progressive entre la transmission culturelle et l’expérience sensible de la nature qui fait suite au grand partage entre Nature et Culture instauré en Europe par le naturalisme (Descola, 2005) et dont les effets furent multipliés à notre époque par l’esprit de conservation de la nature (Pyle 1978, 2002 ; Miller 2005). L’extinction de l’expérience environnementale amplifiée par la politique de conservation est un processus combinant plusieurs facteurs tels que l’homogénéisation et la réduction de la flore et faune environnantes, et la désaffection et l’apathie qu’elle génère à l’égard de la biodiversité (Pyle, 1978). À terme, ce processus entraîne une « amnésie environnementale générationnelle » (Kahn 2002), dont l’oubli principal concerne ce que l’intelligence des humains doit aux autres intelligences. L’ambition de ce projet d’HDR est d’étudier de manière empirique et transdisciplinaire le rôle de l’expérience sensible que les humains entretiennent avec les autres existants dans l’apprentissage et la transmission culturelle. Il s’agit de reconsidérer les autres existants, végétaux et animaux comme des acteurs de notre apprentissage et de notre transmission culturelle afin de comprendre la co-construction des intelligences. Ce projet a pour objectif d’ouvrir un vaste champ de recherche qui consiste à identifier les affinités sélectives entre les intelligences du monde dont celle de l’homme a pour vocation d’en faire pleinement partie afin de mieux comprendre la manière dont la culture émerge de la vie.

 

 

Publié le : 24/11/2022 12:44 - Mis à jour le : 13/02/2024 14:06